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La politique du « logement d’abord »

10 janvier 2021

La politique du « logement d’abord »

Le 7 janvier 2021, la Cour des comptes a publié son compte-rendu de contrôle de la politique du « logement d’abord », remis au Premier ministre en octobre 2020.

Le plan « logement d’abord » a été déployé par le Gouvernement en septembre 2017 pour la période 2018-2022 pour répondre à une situation critique en termes d’hébergement et de logement des personnes sans domicile.

En France, la situation de l’état du logement s’est rapidement dégradée au cours de la dernière décennie : avant même la crise sanitaire, on estimait à plus de 300 000 le nombre de personnes sans domicile, soit près du double de l’estimation produite par la dernière enquête statistique de 2012. Une part importante de cette augmentation a pour cause principale l’arrivée de personnes en grande situation de vulnérabilité depuis l’intensification des flux migratoires à partir de 2012. Ainsi, chaque année, 100 000 nouvelles personnes sans domicile seraient issues du dispositif national d’accueil lié au droit à l’asile, dont 30 000 réfugiés.

En réponse à ce phénomène migratoire, l’hébergement d’urgence a fait l’objet d’efforts importants et le nombre de places progresse de 9% depuis 2012 pour s’établir à 260 000 places offertes. Les dépenses publiques de l’État pour cette politique publique ont fortement augmenté et s’établissaient en 2019 à plus de 4Md€.  Pourtant, en comparaison du flux de nouvelles personnes sans domicile chaque année, la résilience de ce système d’hébergement se trouve menacée.

Ainsi, la politique du « logement d’abord » a été mise en œuvre pour prendre le contre-pied de la vision classique de la réinsertion, consistant en un accompagnement progressif – mais souvent trop long pour être efficace – depuis la rue vers l’hébergement, avec de nombreuses étapes de réinsertion. L’idée du « logement d’abord » est de commencer la réinsertion par le logement, en considérant cette étape comme un prérequis plutôt qu’une finalité de la réinsertion. Les coûts induits de cette politique en termes de conduite du changement dans la mise en œuvre des politiques de réinsertion traditionnelles nécessitent une volonté politique forte et suivie.

L’évaluation de la politique du « logement d’abord » par la Cour des comptes repose sur 4 constats :
– La politique du « logement d’abord » est portée par le plan 2018-2022 correspondant à une reprise et à une accélération importante de mesures déjà initiées en 2012 : pour le moment, celui-ci a abouti à une augmentation de près d’un tiers du flux de personnes sans domiciles logées (portant celui-ci à 80 000/an). Toutefois, la hausse conjuguée de la demande d’accès au logement n’a pas permis de faire baisser la demande d’hébergement d’urgence,
– Les résultats du plan restent largement en-deçà des cibles fixées : la production de logements est trop faible et les loyers pratiqués dans les zones tendues excèdent les capacités contributives des ménages les plus modestes. Ainsi, près de 40% des actions du plan n’ont pas ou très peu été mises en œuvre,
– Les outils de mise sous tension que permet la loi pour mettre sous tension les administrations en faveur de la politique du « logement d’abord » ne sont pas pleinement mobilisés (ex : les mécanismes de contractualisation entre l’État et les acteurs concernés autour d’objectifs à atteindre),
– L’orientation des personnes sans domiciles vers le logement est la mission que le service intégré d’accueil et d’orientation exerce le moins bien alors qu’il s’agit de son cœur de mission.

Pour répondre à ces constats, la Cour préconise plusieurs pistes d’amélioration du plan « logement d’abord » :
– Si la France compte le plus grand parc social d’Europe (5 millions de logements pour 11 millions de personnes logées), la fluidité en son sein est de plus en plus faible. En 2018, moins de 7% du stock de logements ont été attribués à des personnes qui n’occupaient pas de logement social auparavant. Ainsi la Cour recommande de faire du bail à durée déterminée la règle d’occupation du logement social et de renforcer les plafonds de ressources ainsi que l’accompagnement à la sortie du logement social. Un tel dispositif d’accès au logement social des personnes sans domicile permettrait de soulager le système d’hébergement – et l’effort financier qu’il représente – de façon significative,
– Il est nécessaire d’améliorer de manière générale les informations concernant les personnes sans domicile fixe, car celles-ci restent lacunaires et ne permettent pas d’adapter la politique du logement en conséquence. De même, les arbitrages politiques et budgétaires en matière de politique du logement devraient davantage prendre en compte les coûts évités que représenterait un plan plus efficace,
– La priorité que constitue l’orientation des personnes sans domiciles doit être mieux servie par les outils de mise sous tension des acteurs concernés,
– Les actions de prévention de l’exclusion sociale, a fortiori dans le contexte social et économique à venir, doivent faire l’objet d’une attention plus soutenue,
– Enfin, la Cour estime qu’une programmation pluriannuelle de transformation des places d’hébergement d’insertion en logements sociaux devrait également être mise en œuvre pour améliorer la cohérence de la nouvelle logique du « logement d’abord » avec les capacités en termes de logements sociaux.